Eclipse Totale : fulgurance de l’amour

Eclipse Totale : fulgurance de l’amour

Tandis qu’en 2005, Léonardo DiCaprio donnait une image sensuelle et entière du jeune poète dans Rimbaud Verlaine (Total Eclipse), c’est Julien Alluguette qui incarne avec brio Arthur Rimbaud aux côtés de Didier Long qui endosse le rôle de Paul Verlaine et met en scène leurs amours tumultueuses et passionnées avec une exaltation de tous les instants, faisant d’Eclipse Totale l’une des plus belles révélations du OFF d’Avignon 2016.
alluguette
© D.R
En 1871, le jeune Arthur Rimbaud, à peine dix-sept ans, rencontre Paul Verlaine et son épouse Mathilde. Avec ses airs de voyou, ses manières de mauvais garçon et son franc parler, il a des opinions bien tranchées et possède en plus de sa beauté la fougue de sa jeunesse et une force invisible qui le rend invincible aux yeux du monde entier. Entre les deux hommes, c’est le coup de foudre artistique immédiat mais très vite, une attirance corporelle et sexuelle s’empare d’eux. Ils se consument d’une passion ardente, puissante et véritable, de celles qui font souffrir autant qu’elles font du bien. C’est cet amour secret, tendre et violent qui nous est donné de voir sur le plateau dans l’expression bouleversante d’un sentiment à la fois élévateur et destructeur.

Dans la mise en scène de Didier Long, tout est dans la suggestion, l’évocation. La dimension poétique transparait dans la scénographie minimaliste faite de paravent et de volumes modulables, les jeux de lumières et les images naissantes. L’ensemble est comme une douce caresse, une tendre torture corporelle qui sommeille dans un écrin à l’esthétique raffinée. L’interprétation est brillante et n’a rien d’une poudre aux yeux. Jeanne Ruff est Mathilde, dans toute sa douceur. Bien qu’ayant peu de texte, l’actrice impose une réelle présence et elle est la délicatesse même. Cette figure féminine, légèrement en retrait, est totalement éclipsée par la beauté sidérale de l’amour à la saveur d’un feu ardent qui vient dévorer les deux poètes, les deux amants. Julien Alluguette, qui sera prochainement en tournée avec Les Vœux du Cœur, est parfait. Il incarne le Rimbaud que nous imaginons, celui qui se laisse dicter sa vie par la fougue, l’insouciance et la provocation, un rebelle en quête d’absolu. Dans cette Eclipse Totale, il est le Soleil ! Il brille de mille feux talentueux et s’impose sur le plateau, resplendissant littéralement et se montrant incroyable de justesse. Sa passion est à l’image de son œuvre : moderne et fulgurante. Pour lui, « tout ce qui compte c’est l’écriture ».

Le poète précoce et génie éternel (Verlaine dira de lui qu’il a « un siècle d’avance ») croque la vie à pleines dents, à la vitesse de celui qui ne veut pas en perdre une seule nanoseconde et qui veut faire dans sa chair l’expérience de tout. Emotionnellement parlant, il vient nous chahuter et nous entraîne dans sa tornade, à l’image de la passion de son personnage pour Verlaine. C’est Didier Long qui endosse ce rôle d’homme indécis, complexe, violent, tiraillé entre deux feux et torturé par ce qu’il ressent. L’interprétation des deux amants est impeccable. Leur implication demande une folle énergie et ils s’offrent sans réserve. « En amour, le corps prime sur l’âme » selon Verlaine. Alors, ils se consument tous deux d’un amour solaire si incandescent qu’ils vont s’y brûler les ailes. De ces deux années d’un amour scandaleux entre Bruxelles et Londres, il en résultera leurs plus beaux poèmes. Si Jacques Prévert affirmait que « la vie sépare ceux qui s’aiment », la mort n’a pu mettre un terme à leur destin, unit à jamais. Avec Verlaine, Rimbaud voulait apprendre et il a appris. Cet enragé, ce révolté, « trop intelligent pour être heureux » n’est que fulgurance. Les amants se déchirent, se quittent, se retrouvent, se supplient et se perdent, l’un dans l’autre puis l’un sans l’autre. Verlaine admettra même que Rimbaud n’est pas mort mais piégé à l’intérieur de lui, comme une union éternelle.

Leur amour est une drogue au même titre que l’absinthe ingurgitée tout au long de leur existence. Ils se perdent dans des paradis artificiels et se trouvent pour toujours. Bien plus qu’un coup de cœur, c’est un véritable coup de foudre que nous avons eu pour Eclipse Totale. Didier Long s’appuie sur le texte du dramaturge anglais Christopher Hampton qu’il adapte et met en scène merveilleusement bien. Nous n’imaginons pas un seul instant que ce spectacle ne soit pas repris prochainement dans un théâtre parisien. Il a tous les ingrédients pour aller loin et atteindre des sommets.

https://theatoile.wordpress.com/2016/08/21/eclipse-totale-fulgurance-de-lamour/

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